Le blocus continental de Napoléon

Le 21 octobre 1805, Napoléon subit une défaite à Trafalgar, ce qui le contraint à abandonner son projet d’envahir l’Angleterre. Face à cet échec, il décide d’initier un nouveau type de conflit : la guerre économique. Pour affaiblir l’Angleterre, il met en place un blocus. Ce dernier est une mesure imposée par un ou plusieurs acteurs pour isoler une nation ou une région géographique spécifique. Il peut être partiel ou total, visant généralement à contraindre un adversaire à se soumettre aux demandes de l’initiateur du blocus.

Il existe deux principaux types de blocus. Le blocus naval, dans un premier temps, qui utilise des forces navales pour empêcher l’accès de navires, de marchandises ou de personnes à un port ou une région maritime spécifique, et le blocus terrestre, dans un second temps, moins fréquent, qui bloque physiquement l’accès terrestre à une région ou un pays en érigeant des barrières physiques ou en renforçant les frontières.

L’instauration du blocus continental

Le blocus continental est officiellement instauré par le décret de Berlin, le 21 novembre 1806, interdisant toute communication et tout commerce avec l’Angleterre. Chaque navire anglais, ou ayant fait escale en Angleterre, est saisi. Pour que le blocus fonctionne, Napoléon vise à l’imposer à l’Europe, et celui-ci prendra fin avec sa chute en 1814 et le retour de la monarchie.

En 1802, la paix d’Amiens marque un cessez-le-feu temporaire entre la France et l’Angleterre, mais aucun accord commercial n’est signé entre les deux nations. Cette absence d’accords indique que, malgré la paix officielle, la guerre économique continue de faire rage. En 1803, l’Angleterre déclare de nouveau la guerre à la France, saisissant les navires français et hollandais dans ses ports et envahissant les colonies françaises de Sainte-Lucie et de Saint-Pierre, ainsi que des comptoirs des Indes. En 1804, l’Angleterre annonce que tous les ports français sont sous blocus. Parallèlement, entre 1793 et 1805, la France promulgue plusieurs lois interdisant toute importation anglaise sur son territoire.

Le 20 juin 1803, après la rupture de la paix d’Amiens, les marchandises anglaises sont à nouveau interdites en France. Les industriels français voient dans cette interdiction une opportunité de protéger les entreprises nationales de la concurrence étrangère, sans entraver l’exportation. Le blocus devient alors une mesure protectionniste et une arme politique pour affaiblir l’Angleterre.

Soldats français veillant à ce qu’aucune marchandise anglaise n’arrive en France. Gravure sur cuivre colorée, Christian Gottfried Heinrich Geiβler, 1824. ©️ Wikimédia Commons, Domaine public

Le blocus continental de 1806 s’inscrit dans le contexte d’une guerre économique entre les deux nations et dans la continuité de la politique française. La nouveauté réside dans l’ambition de Napoléon : pour que le blocus réussisse et affaiblisse l’Angleterre économiquement, il faut priver cette dernière de son marché le plus important, l’Europe. En octobre 1806, après ses victoires sur la Prusse, la France domine une grande partie de l’Europe, ce qui lui permet d’appliquer le blocus.

En réponse, l’Angleterre édicte, le 11 novembre 1807, des ordres en conseil interdisant à tout navire non britannique d’accoster en Europe. Chaque navire neutre est également contraint de passer par l’Angleterre et de payer une taxe de 25 % sur la valeur de la marchandise transportée. Les Britanniques cherchent ainsi à transformer les territoires conquis par Napoléon en un “désert” économique, privant l’Europe de denrées coloniales.

Napoléon riposte avec le décret de Milan, le 17 décembre 1807, qui considère tout navire ayant été en contact avec un navire britannique comme anglais. Cette mesure est étendue aux navires américains, ce qui contribue à un climat de tensions commerciales. En 1807, les Britanniques lancent une expédition pour détruire la flotte du Danemark, incitant le Danemark et la Norvège à rejoindre le blocus français. Avec ces deux blocus, il devient impossible pour les nations neutres de commercer.

Un blocus aux conséquences nombreuses

Avant la mise en place du blocus, les industries anglaises dominaient le marché européen, surpassant les industries françaises. Le blocus est alors devenu une mesure protectionniste nécessaire pour protéger les vieilles industries françaises de la concurrence extérieure. Cela a créé un environnement favorable à l’industrialisation en France.

Le blocus a aussi stimulé l’innovation, notamment en matière de substituts aux produits commerciaux traditionnels comme le sucre, le café et le coton. La culture de la chicorée a été développée pour remplacer le café, bien que ce fût un relatif échec. En revanche, le développement du sucre de betterave, pour remplacer le sucre de canne, a été un succès, et il est encore utilisé aujourd’hui.

Cependant, le système continental conçu par Napoléon est voué à l’échec, car il est impossible de maintenir un système totalement fermé, ce qui entraîne des pénuries de matières premières. Face à cette réalité, Napoléon est contraint d’assouplir le blocus. Pour rétablir les relations commerciales avec les États-Unis et soulager les industries françaises, le décret de Trianon du 5 août 1810 permet l’entrée de marchandises américaines ou coloniales contre le paiement de taxes élevées. Un système de licences d’importation et d’exportation est également instauré.

Entre 1806 et 1813, les échanges européens sont entravés par diverses mesures, notamment le blocus continental, le contre-blocus britannique, les taxes et les permis. Finalement, le blocus continental prend fin avec la chute de Napoléon en 1814.

L’objectif principal du blocus continental était d’affaiblir l’économie anglaise pour précipiter sa chute. Cet objectif a été partiellement atteint, puisque dès 1806, les exportations anglaises vers le continent européen chutent significativement, entre 25 % et 55 %. Cependant, l’Angleterre, grâce à sa domination maritime, réussit à compenser cette perte en explorant de nouveaux marchés, notamment en Amérique du Sud.

Contrebandiers pendant le blocus continental. John Atkinson, 1808, conservé au Musée maritime national de Londres. ©️ Wikimédia Commons, Domaine public

L’attaque sur Copenhague et le contrôle de détroits stratégiques ont permis aux Britanniques de maintenir une résilience économique face au blocus. De plus, des zones sous domination anglaise sont devenues des bases de contrebande, affaiblissant l’impact du blocus. Avant le blocus, les industries anglaises dominaient le marché européen. Cette mesure protectionniste est devenue nécessaire pour protéger les vieilles industries françaises de la concurrence extérieure, favorisant ainsi l’industrialisation en France.

Malgré ces avantages, la France souffre de pénuries de matières premières. L’industrie du coton est particulièrement touchée, entraînant des crises de production et du chômage. À Paris, 40 % des fileurs et tisserands sont mis au chômage en 1807 en raison de la pénurie de coton. Les filatures doivent s’adapter en utilisant de nouvelles matières premières, ce qui augmente les coûts, ou recourir à la contrebande, avec tous les risques que cela implique.

Les grandes villes portuaires, comme Bordeaux, subissent également une forte baisse de leur activité. Le trafic maritime y est divisé par cinq, entraînant une paupérisation notable. À Bordeaux, sur une population de 90 000 habitants, près de 12 000 personnes vivent dans la pauvreté à la fin de l’Empire.

Entre 1810 et 1812, la France connaît une profonde crise économique, d’abord industrielle, puis agricole. La crise industrielle, marquée par la surproduction et la spéculation, est aggravée par les effets contradictoires du blocus. Bien que le protectionnisme favorise l’industrie française, il entrave l’approvisionnement en matières premières.

Sur le marché continental, les produits français, plus coûteux, sont concurrencés par ceux de contrebande et des industries moins chères de pays voisins. La mévente des productions nationales entraîne une réduction de la production et donc des emplois, diminuant la capacité d’achat des consommateurs français.

Le blocus a souvent été appliqué au détriment des autres pays européens, favorisant les entreprises françaises. Les produits français étaient parfois les seuls autorisés à la vente ou moins taxés, créant des tensions économiques. Les pays du Nord de l’Europe souffrent particulièrement de ces mesures protectionnistes, perdant leurs anciennes sources d’approvisionnement et débouchés, tout en étant soumis aux contributions destinées à financer les armées napoléoniennes.

La nécessité d’appliquer le blocus conduit à des guerres coûteuses pour l’Empire français. Les invasions du Portugal et de la Russie sont partiellement motivées par des tentatives de maintenir le blocus, mais ces efforts finissent par affaiblir l’Empire. De plus, le blocus réduit non seulement les exportations des pays du système continental, mais aussi celles de la France.

En conclusion, le blocus continental a profondément bouleversé les échanges commerciaux traditionnels entre les États européens. En coupant l’accès aux produits britanniques et coloniaux, il a entraîné des pénuries de matières premières, notamment dans les secteurs du textile et de l’agriculture. Bien que le blocus ait favorisé certaines innovations et la protection des industries françaises, il n’a pas réussi à atteindre son objectif principal : détruire l’économie britannique. Au contraire, l’Angleterre a su s’adapter et développer de nouveaux marchés. Finalement, le blocus continental a exacerbé les tensions entre la France et les autres puissances européennes, contribuant à l’affaiblissement progressif de l’Empire et précipitant la chute de Napoléon en 1814.

Rédactrice : Éva V.

Bibliographie :

BRANDA Pierre, « Les conséquences économiques du blocus continental » dans Revue du Souvenir Napoléonien, N°472, septembre-octobre 2007, pp. 21-30.

CROUZET François, La crise industrielle française de 1810-1811, Cambridge, Presses Universitaires de Cambridge, 2017.

MARZAGALLI Silvia, « Napoléon, l’Europe et le blocus continental » dans Napoléon et l’Europe, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002, pp. 71-90.

MURACCIOLE José, « Napoléon et l’aide aux manufacturiers en 1810 – 1811 » dans Revue du Souvenir Napoléonien, N°257, janvier 1971, pp. 13-14.

ROLLET Catherine, « L’effet des crises économiques du début du XIXe siècle sur la population » dans Revue d’Histoire moderne et contemporaine, tome 17, N°3, 1970, pp. 391-410.

SOBOUL Albert, Le Premier Empire : 1804-1815, coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses Universitaires de France, 1980.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Panier
Retour en haut